Avant-propos




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Sylvain Gaillard
Né en 1980 
DNSEP de l’école Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes

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          L’art peut tout transformer, même les vieilles chaussettes de sport. Sylvain Gaillard en a choisi quelques-unes, dépareillées, usées, leur a conféré une qualité graphique en fixant chacune au mur dans une tension longiligne ; accrochées en une formation élégante, elles composent une nuée d’oiseaux ou un dessin abstrait. Les chaussettes. Qui eût cru que ces choses pédestres, souvent surchauffées dans la douleur du pied, puissent voler avec tant de grâce ? Ce travail axé sur la performance varie les effets induits par l’humour, s’essaie à la poésie et à l’absurde, sans oublier la satire. Là où l’ironie tend à la négation, à la dénonciation qui remonte du réel aux principes, l’humour au contraire descend jusqu’aux conséquences, arpente le concret des détails. c’est une pensée qui rend compte des déboires et des péripéties qu’elle rencontre. La preuve : avant de plonger dans ses pensées, Sylvain Gaillard revêt un masque et un tuba pour prendre la pose immortalisée par Rodin. Le penseur de rondin assis sur un tabouret médite pendant quarante minutes. Le bruit constant de la respiration émanant de son tuba défait « l’intériorité » si pesamment incarnée par ce statuaire.Sylvain Gaillard tente de mettre fin à ses jours en sautant dans une poubelle, il capture des résidus de pensée dans des boîtiers plastiques, s’inscrit résolument dans la tradition ouverte par les cyniques grecs et menant jusqu’à Filliou, Jouannais,  nietzsche, Lizène, Labelle-rojoux. il construit des fictions attentatoires à la vie sociale, ainsi son entreprise d’avant-garde au service de l’avenir, l’espace Mobile  transparent (EMT).  c’est une tente en plastique qui peut être montée n’importe où, dans laquelle l’artiste s’expose en travaillant. elle matérialise agréablement sa demande aux différents donneurs d’ordre que sont les collectivités, agences et autres commanditaires. Si cette entreprise échoue, peu importe, l’espace est multifonction : il pourra servir d’aire de jeux sécuritaire pour enfants, de chapiteau cocktail, de modèle pour l’architecture nouvelle. En plus, c’est un multiple que l’on peut aisément reproduire et vendre à bas prix ! Les voyages forment la jeunesse, Sylvain Gaillard enfourche son vélo, roule sur l’horizon matinal : « Le ciel commençait à passer du noir au rouge, semblable à un homard qui cuit ».  c’est un paysage qui lui va si bien.


Texte de Antonia Birnbaum publié à l’occasion de l’exposition Poursuite 2 organisée à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes en janvier 2011. 



La question de questionner est-elle une vraie question ?

        Sylvain Gaillard ferait-il de l’art s'il avait autre chose à faire ? Coiffeur, plombier. Ne peut-il pas juste vivre, faire la sieste, comme le lion après la chasse ou hiberner comme un ours et juste rêver ? Qu’elle est la frontière entre son moi « sauvage » et son moi « civilisé », entre faire et ne rien faire ? Sylvain Gaillard a un surplus d’énergie, il en dépense de moins en moins pour vivre et cet excédent il le passe en loisirs. L’art participe donc à cette dépense d’énergie, une énergie que l’artiste veut profonde, mais qui n’est autre qu’une énergie animale intériorisée. Nietzsche parle de ce passage de l’énergie, de l’extérieur à l’intérieur en ces termes : « Tous les instincts qui ne se déchargent pas vers l’extérieur se tournent vers l’intérieur — c’est là ce que j’appelle l’intériorisation de l’homme : c’est alors seulement que pousse en l’homme ce qu’on appellera son « âme ». Tout le monde intérieur, aussi mince à l’origine que s’il était tendu entre deux membranes, s’est élargi et gonflé, a acquis de la profondeur, de la largeur, de la hauteur à mesure que la décharge vers l’extérieur des pulsions de l’homme a été inhibée. » (La Généalogie de la Morale, Second traité, § 16)



Mon moi, le rêve américain et l'idiot du village.

        Sylvain Gaillard cherche donc ce moi artiste, pour trouver ce moi tout court, ce moi intérieur et antérieur, ce moi profond, la racine sur laquelle il se construit un moi social et à partir de laquelle il pourra se construire une vraie identité qui lui permettra de faire de vrais choix, ayant l’impression d’être vraiment lui même. Il cherche, un moment de hasard, celui de son moi premier, de son point de départ, comme s’il pouvait y en avoir un, il expérimente, accumule des choses dans des voies diverses et absurdes. Plus que de chercher quelque chose d’introuvable, l’absurde et de chercher quelque chose qui n’existe pas. Il lui faut donc créer un personnage qui ait une pensée intelligible,  créer un monde régis par les lois de sa logique et dans lequel il puisse vivre. L’art est ce laboratoire où Sylvain Gaillard crée un réel à sa mesure, et  ne comprenant le réel, n’en voyant que peu de chose, il construit comme un imbécile, une scène où il tient le premier rôle, celui d’un idiot. Son personnage veut être, alors il est : PDG d’une entreprise d’innovation architectural, écrivain, poète, chanteur, musicien, explorateur, cycliste, super héros, artiste plasticien, philosophe, plongeur... et peut importe qu’il soit bon ou mauvais, il est. Il entre dans le champs du possible, du pourquoi pas, du pas pire, du pas mieux et du n’importe quoi.
        
      L’artiste anti-héros se doit d’être sans certitude, de ne rien affirmer d’autre que le fait que l’on ne peut rien affirmer, de ne pas rentrer dans le jeux de la série et du concept, d’être un idiot car il produit des objets singuliers, et comme le dit Clément Rosset dans Le réel, traité de l’idiotie « idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique...». On pourrait encore rajouter sur l’étymologie de mot idiot, en parlant de l’idiotisme qui désigne une forme, une locution propre à une langue, impossible à traduire dans une autre langue même de structure analogue, intéressant pour l’art qui n’est après tout qu’un jeu de langage parfois hermétique. L’artiste anti-héros remet l’homme à sa place d’être faible, écrasant de blagues lourdes et de calembours les illusions de grandeur. Dans L’idiotie, Jean-Yves Jouannais veut affirmer que modernisme et idiotie sont synonymes, que la recherche de la nouveauté a tourné à l’absurde, et que ceux qui se voulaient de l’ordre du sérieux ont tourné au ridicule. D’une certaine manière, le seul moyen d’échapper au ridicule, c’est de l’être, avoir l’intelligence d’être l’idiot que l’on est. Il y a bien quelque chose d’envieux chez l’idiot du village, une simplicité, une naïveté, une gentillesse qui fait plaisir à voir, comme si la vie n’avait pas son lot d’horreurs et de questions sans fin sur l’être ou ne pas être, une faculté à prendre le réel comme il vient. Voltaire nous fait déjà la remarque qu’idiot signifiait autrefois isolé, retiré du monde. L’idiot a ce recul sur le monde, un certain détachement qui à mon sens le rapproche de la sagesse. Jean-Yves Jouannais, rapproche l’idiotie et la sagesse dans le fait que « les deux notions se tiennent respectivement dans un rapport spéculaire. L’idiotie, comme la sagesse, est l’acceptation de tous les écarts, l’option d’un point de vue globalisant... » (in L’idiotie, p. 206).



      Dans une société, où le seul moyen d'être est de produire du consommable, pour l'autre, il est difficile de ne rien produire. On tombe dans le presque rien, le dérisoire. L'art est un domaine sociétal permettant l'approche d'une théorie de l'échec volontaire, car toute théorie est vouée à l'échec, par son appartenance à une réalité qui n'admet pas le réel.